Les 20 Saisons

Pourquoi Britten ?
Les choix d’un chef !

16 janvier 2001 / 6 décembre 2020 , ou xxx 2021 !

Le tout premier concert du Chœur Régional d’Auvergne eut lieu le mardi 16 janvier 2001 en compagnie de l’Orchestre d’Auvergne. Ce concert comprenait le Te Deum de Britten et surtout sa Cantate Saint-Nicolas. Vingt ans plus tard il est tout à fait judicieux d’offrir à nouveau l’écoute de ce joyau (prévue le 6 décembre 2020 et reporté à des jours meilleurs).

Article de presse, 11 janvier 2001 :

Cela me permet d’évoquer la première exigence pour un  directeur artistique : CHOISIR

Cette aventure du Chœur Régional d’Auvergne a très probablement su s’installer dans la durée par l’adéquation entre les personnes qui constituent le chœur et la musique que j’ai choisi d’interpréter. Et pour choisir, il faut d’une part avoir devant soi un large éventail des possibles, et d’autre part savoir pourquoi on laisse de côté ce que l’on décide d’abandonner.

Revenons d’abord sur l’axe choisi pour  cette première année  du Chœur : promouvoir la musique de trois compositeurs : Bach, Brahms et Britten (3 « B », mais c’est un hasard !).

Nous avons là trois compositeurs qui présentent un certain nombre de points communs (voir ci-dessous) et qui marquent chacun une période importante de l’histoire de la musique. Leurs œuvres sont le plus souvent accessibles pour des amateurs, tout en présentant des difficultés importantes, spécifiques de chacun de leurs langages musicaaux. Il m’a ainsi semblé essentiel de faire coïncider les capacités et les motivations des choristes avec un travail exigeant sur des répertoires dont l’approfondissement s’annonçait enrichissant et de longue haleine. Ce faisant, je mettais de côté (sans m’interdire des incursions ponctuelles) certains répertoires plus anciens (Renaissance, premier Baroque) ou plus contemporains. Pour la musique ancienne en particulier, je me suis sciemment coupé d’une large palette du répertoire qui m’est le plus familier et le plus proche de mon affinité musicale (j’y reviendrai dans un prochain épisode). On touche donc ici le point sensible des choix de répertoire : il convient de s’adapter à son public (choristes et auditeurs), c’est ce que j’essaie de transmettre aux étudiants chefs de chœur.

Ainsi choisir ne revient pas pour moi à un acte de type « coup de cœur », mais bien à une démarche de réflexion patiente, faisant beaucoup appel à la mémoire (pour retrouver des liens entre telle ou telle œuvre, mise en attente dans un coin de rayonnage) et à la recherche (autrefois dans les bibliothèques spécialisées – Paris, Genève, Lyon – aujourd’hui sur Internet). Ceci est dû à l’abondance considérable du nombre d’œuvres existantes, et en particulier à toutes celles que l’on n’entend jamais ! Mais c’est bien sûr un plaisir de concevoir un programme équilibré pour le public, tout comme le menu d’un repas gastronomique.

Revenons à nos 3 « B » de la première année. Ce qui les unit dans leur démarche artistique, est leur capacité à s’approprier les langages musicaux qui les ont précédés pour nourrir leur créativité dans le cadre du style de leur temps. Il me semble, sans pouvoir l’expliquer vraiment, que cela se conjugue avec une attention particulière à la construction, la forme de leurs œuvres. Sans surprise nous retrouvons aussi chez chacun d’eux un équilibre impressionnant du contrepoint qui offre à chaque ligne vocale un intérêt manifeste, gage de motivation pour chaque chanteur, quel que soit son registre vocal.

Pour illustrer ce propos :

On sait que Bach recopiait de nombreuses partitions anciennes ou contemporaines, souvent pour les besoins des offices dont il devait assurer la partie musicale. Voici le début d’une messe de Palestrina, repris par Bach : ce choix d’une œuvre d’un très grand maître de la polyphonie de la Renaissance (antérieur de près d’un siècle et demi) peut nous surprendre, tant par la distance historique (mais pendant de nombreux siècles les peintres ont appris leur métier en copiant les tableaux anciens) que par l’œcuménisme de cet emprunt à la tradition catholique. L’art sait s’affranchir des frontières !

Note : le titre est authentiquement de la main de Bach, le reste de la copie a été réalisée par un scribe ; cependant Bach a retravaillé lui-même la pièce en ajoutant des parties instrumentales et en écrivant certaines parties séparées pour l’exécution.

Concernant Brahms, on pourrait détailler les éléments de son attachement aux maîtres anciens, et en particulier à Bach. Signalons juste qu’une Fugue du Kantor était au programme de son premier concert : le jeune Brahms avait 15 ans.

Et Britten n’est pas en reste : tout aussi émouvant est ce manuscrit où le compositeur rend hommage à Purcell en réalisant un arrangement d’une pièce de son illustre prédécesseur. Nul doute que Britten gardera des éléments de l’étude des œuvres de Purcell, en particulier les frottements audacieux résultant de la conduite autonome des différentes lignes vocales.

 

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Pour terminer en musique, en attendant la véritable présentation publique de Saint-Nicolas, je vous propose une écoute attentive d’un autre joyau de Britten : L’Hymne à Sainte Cécile.

Hymn to St Cecilia

Britten ressentait l’envie profonde d’écrire une œuvre sur le sujet pour au moins trois raisons :

  • de telles œuvres correspondent à une tradition anglaise, au moins depuis Purcell ;
  • écrire de la musique pour la « Patronne des musiciens » correspond bien à son approche artistique réflexive ;
  • de plus il est né le jour de la fête de Sainte-Cécile !

Cependant il peine à trouver dans les textes existants (latins en particulier) des mots qui l’inspirent. Il sollicite alors le poète W. H. Auden qui lui propose un texte riche et complexe qui va parfaitement lui convenir :

Texte et traduction : https://bit.ly/3eXis8x

La structure tripartite du texte imprime d’emblée une forme définie qui soutient cet édifice imposant (plus de 12 minutes). On reconnaît d’emblée aussi un refrain (« Blessed Cecilia ») que Britten va légèrement et subtilement varier à chacune des trois apparitions.

La « modernité » de ce texte, très imagé, et très mystérieux en particulier sur ses références à la mort (allusion au martyre subit par Cécile ?) n’a pas empêché Britten de prendre appui sur de très nombreux modes d’écritures anciens. On citera :

  • les madrigaux de la Renaissance (écriture typique à 5 voix)
  • les faux-bourdons du début de la Renaissance (écriture parallèle sur un cantus firmus)
  • les catches (canons, très courants dans la musique anglaise)
  • les fugues avec mouvements contraires
  • le récitatif accompagné

Mais sur la base de ces références anciennes Britten laisse voguer (la musique évoque très souvent la fluidité) sa grande liberté et sa virtuosité de variations dans les orientations tonales imprévisibles.

Blaise Plumettaz

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Pour poursuivre les écoutes :